Paru il y a moins de trois semaines « Curro Romero, la esencia » en est
déjà à sa troisième édition et caracole en tête des ventes au Corte
Inglés ! Sans entrer dans le contenu de l’œuvre que chacun appréciera
selon sa sensibilité et l’admiration plus ou moins grande qu’il porte
à Curro Romero et à l’auteur, un tel succès de librairie concernant
la tauromachie appelle un commentaire fondamental : contrairement à
l’opinion largement diffusée ici ou là selon laquelle les toreros
n’intéressent personne en dehors de l’arène à moins d’épouser
des princesses ou d’étaler leur vie privée dans la presse du cœur, ce
best-seller consacré à un torero atypique montre bien que même à
l’heure d’Internet, le torero demeure une image emblématique, à
condition, bien sûr, d’atteindre le rang de mythe. Autrement dit, et
pour poursuivre dans la métaphore, à moins de parvenir à incarner
l’image idéale virtuelle du torero romantique et triomphant, point de
salut pour les générations montantes. Vaillants, ambitieux, batailleurs,
virtuoses et techniciens s’abstenir ; si le Pharaon vous dépasse tous,
la raison en est simple : Curro Romero, c’est Don Juan. Un rôle qui
n’est malheureusement pas à la portée de tout le monde. Tout le problème
est là et il risque fort de s’aggraver. Car avec la sur-information à
laquelle nous participons en donnant pratiquement en temps réel toutes
les nouvelles du monde taurin, comment imaginer qu’un talent aussi pur
soit-il puisse avoir le temps de mûrir dans l’ombre sans être disséqué,
analysé, digéré et recraché par tous les exégètes plus ou moins avisés
que compte la planète taurine ? A peine repéré, le torerillo débutant
est donné en pâture à l’info et les talents incertains se dissolvent
très vite. Les bellâtres de banlieue, les dragueurs de basse-cour, les
emberlificoteurs du dimanche ne passent pas davantage à la postérité.
Quand les ficelles sont trop grosses, le charme n’agit pas. Et la force
de Don Juan, c’est l’épaisseur de son mystère. Depuis plus de
quarante ans, Curro Romero accumule les débâcles, ponctuées de loin en
loin par des faenas de rêve. Mais est-ce lui qui rêve... ou ceux qui le
voient toréer ? Dans tout mystère, la subjectivité est importante. Pour
croire sans voir, il faut avoir la Foi ! Ne demandez pas aux romeristes
d’où vient la leur, ils ne sauraient répondre. Ils croient. Et
parfois, au terme d’une longue ascèse, il leur arrive même de voir...
comme à Séville en avril dernier. Et le mythe se nourrit tout autant de
ces instants rares en forme de miracle que du temps passé à les espérer
sans rien voir venir. Tel devait être le souvenir laissé par Don Juan à
ses conquêtes : la morsure fulgurante d’une brève parenthèse aux
relents d’interdits dans un quotidien de frustrations où l’ennui prédomine.
Qu’importent alors l’allure bedonnante du séducteur, son âge
respectable, ses cheveux teints et ses faiblesses passagères ! Dans les
hautes limbes où flottent les purs esprits, la matière se dilue pour
laisser place à l’essence. L’essence du toreo. L’essence de Romero. André Viard. «Curro Romero, la esencia » est publié par Editorial Planeta
dans la collection "La España plural". On peut l’acheter on
line : www.libro.elcorteingles.es.
Coauteur du livre dans la mesure où Antonio Burgos écrit à la première
personne les souvenirs et réflexions du torero, Curro Romero cède ses
droits d’auteurs à une institution qui se consacre aux enfants gitans.